Lire : Civ. 1re, 28 mai 2025, n° 21-13.519, Bull.
Un célèbre club madrilène et un membre de son équipe médicale ont obtenu en Espagne la condamnation du journal « Le Monde » au paiement de dommages-intérêts pour atteinte à leur honneur en raison d’un article publié en ligne. La cour d’appel de Paris a cependant jugé que les décisions espagnoles ne pouvaient recevoir exécution en France en ce que les condamnations porteraient une atteinte excessive à la liberté d’expression.
Saisie à titre préjudiciel, la CJUE a jugé que l’exécution du jugement étranger condamnant un journal à réparer le préjudice moral subi en raison d’une atteinte à la réputation, doit être refusée si elle constitue une violation manifeste de la liberté de la presse, consacrée à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux (CJUE, 4 octobre 2024, C-633/22).
La Cour de cassation en tire les conséquences, mais définit strictement l’office du juge. Faisant droit à plusieurs moyens présentés par le cabinet dans l’intérêt du club et du médecin, la Cour de cassation juge (Civ. 1re, 28 mai 2025, n° 21-13.519, Bull.) :
-1- Le contrôle de la proportionnalité de la condamnation ne peut pas impliquer un contrôle des appréciations de fond portées par le juge de l’Etat membre d’origine. Première censure : les juges d’appel avaient apprécié par eux-mêmes l’ampleur du préjudice moral, revenant ainsi sur l’appréciation du juge espagnol (§34) ;
-2- La proportionnalité doit être appréciée au regard des ressources des personnes condamnées, de la gravité de la faute et de l’ampleur du préjudice. Deuxième censure: la cour d’appel n’a pas tenu compte de la gravité de la faute (§ 39) ;
-3- La situation financière du débiteur s’apprécie concrètement : le juge doit rechercher si la condamnation pécuniaire s’avère substantielle par rapport aux revenus de la personne physique, et aux moyens dont dispose la personne morale. Troisième et quatrième censure : la cour d’appel s’était bornée à retenir que les arrêts espagnols frappaient une personne physique, journaliste de profession (§45), et que la condamnation du journal représentait plus de 50% de ses pertes nettes, et 6% du montant des disponibilités au 31 décembre 2017 (§ 51);
-4- Le juge doit procéder à un contrôle de proportionnalité distinct, condamnation par condamnation. Cinquième censure: la cour d’appel avait cumulé les deux condamnations, sans rechercher si une exécution partielle ne permettait pas d’éviter une violation manifeste de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux (§57).
Le contrôle de proportionnalité fait ainsi irruption dans une matière fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle. Le contrôle que dessine la Cour de cassation dans cet arrêt est cependant particulièrement strict et resserré: la révolution de la proportionnalité n’est sans doute pas à craindre…